«Sous des chaleurs caniculaires, la première quinzaine d’Août présageait une récolte particulièrement précoce.
L’enrichissement en sucre des raisins grimpait en flèche et l’acidité se réduisait.
Nous avons alors imaginé devoir anticiper la récolte du vignoble Maison. Les suivis de maturation, par l’analyse et la dégustation des raisins, ont été alors renforcés et rapprochés. Chaque jour nous allions visualiser, percevoir et ressentir l’évolution des raisins de chaque Terroir et micro-Terroir du vignoble Henriot.
Dès le 10 août, de nombreux échanges avec les partenaires vignerons ont eu lieu, afin de partager nos impressions, nos doutes et s’aider mutuellement dans nos choix relatifs à cette vendange particulière.
Finalement, un phénomène de stagnation a pris place, demandant ainsi de la patience avant de déclarer la vendange officiellement ouverte.
S’agissait-il d’un stress hydrique ? En effet, la sécheresse en place depuis 6 mois pouvait nous le laisser penser. Toutefois, pas d’autres symptômes visibles, le feuillage était beau, massif et la vigne dans son ensemble, bien portante.
La vigne a ainsi pris le temps dans la construction du profil des raisins. L’hétérogénéité a été le point marquant cette année. Hétérogénéité entre crus, entre cépages, entre lieux-dits et même au sein d’une même parcelle, nous poussant à revoir notre modèle de prélèvement et de dégustation de baies. La dégustation de baies en salle a d’ailleurs été délaissée. En effet, l’appréhension de la vigne et des raisins 2020 a nécessité une présence « au champ » afin d’utiliser chaque indice fourni par la vigne dans les choix de date de récolte, tant c’était hétérogène et tant les profils étaient inhabituels.
Les trois principaux paramètres pris en considération par la Maison Henriot à la vendange, sucre, acidité, aromatique, ne s’entendaient pas sur l’heure et le jour de rendez-vous.
Une absence fréquente de réconciliation ! Parfois une perception d’acidité en chute, un degré potentiel dans la cible mais une aromatique absente, ou bien acidité et aromatique optimales mais un besoin d’enrichissement en sucre supplémentaire. En bref, tous les schémas possibles ont été trouvés. Les pellicules des raisins se faisant épaisses et l’aoûtement des pépins propre à chaque cas, la définition de la maturité a été plus délicate que d’habitude.
De fait, c’est le feeling qui a largement déterminé les décisions de récolte cette année. Pas de place à la modélisation.
2020 est l’année de mise en place des tournées parcellaires pré-vendange chez les vignerons partenaires Henriot. Ce moment de visite du vignoble, de découverte des Terroirs, de dégustation des raisins, de partage et d’échange sur le choix de récolte et sur les exigences organoleptiques de la
Maison Henriot, a été particulièrement de bonne augure dans ce contexte. C’est 106 lieux-dits qui ont été parcourus sur 26 crus différents, avec un esprit collectif et une vision d’excellence.
Les premiers coups de sécateurs pour Henriot ont commencé à Montgueux, chez un vigneron partenaire le vendredi 21 Août. Puis la vendange s’est poursuivie sur Trois-Puits, Vaudemange, Villers-Marmery, Sézanne, Damery, Verzenay…
Sur le vignoble de la Maison Henriot, la récolte a débuté le lundi 24 Août, par les raisins d’Ay, à Pisse Loup et Brise Pot, pour l’élaboration du vin rouge.
Puis c’est à Chouilly, Epernay et Avenay qu’elle a continué son chemin, pour se finir le mercredi 2 Septembre (et le vendredi 4 Septembre pour nos partenaires).
Des règles quelques peu inversées pour cette vendange. La Côte des blancs qui commence après la Montagne de Reims, des Chardonnays qui tardent à murir, des Meunier précoces, des circuits de cueillette chamboulés.
L’état sanitaire était parfait, les conditions climatiques de vendanges également. De quoi avoir le moral.
La cueillette a été fluide, les pressoirs n’ont pas été engorgés. Les rendements inférieurs à la prévision, du fait d’un échaudage et d’un décuidage notamment sur pinots, a peut-être été source de cette sensation de fluidité.
Les acteurs de la vendange ont découvert une nouvelle façon de travailler, avec distanciation et autres bonnes pratiques sanitaires.
Les traditionnels déjeuners et casse-croûtes avec les partenaires du vignoble ont été restreints. Nous avons donc maintenu le lien différemment, par des appels réguliers, des visites plus récurrentes bien que courtes et masquées.
(Pour cette première vendange au sein de la Maison Henriot c’était un contexte très particulier socialement. Mais j’ai la sensation que cela a renforcé le lien, le soutien moral, l’esprit collectif qui m’est si cher.
Cela m’a permis également de passer du temps avec mon équipe du vignoble, ce qui me tenait à coeur.
J’ai d’ailleurs été bluffée de la qualité d’organisation et de travail de cette belle équipe. Je pense que nous pouvons être satisfaits de cette vendange rondement menée dans un contexte sanitaire pourtant délicat.)
En termes d’expression et de qualité vendange, nous avons hâte de découvrir les vins clairs qui en résulteront. Il n’est à date pas facile d’émettre un jugement, même si, en toute transparence, le soir du dernier jour de récolte nous nous sommes dit « c’est quand même une vendange… extra ! ». Mais je garde personnellement la légendaire réserve de l’oenologue qui doit se montrer patient avant de conclure.
Toutefois, nous pouvons dire que cette année a été pour nous l’année des Terroirs. En effet, l’hétérogénéité habituelle des expressions Terroirs a été amplifiée à cette vendange.
Ainsi nous avons capturé la personnalité de certains lieux-dits et parcellaires et les avons isolés en cuverie.
Ce que nous retenons de la vendange 2020 à date, c’est la grande nécessité d’observation au vignoble afin de récolter des raisins qui répondent aux exigences de la Maison Henriot et qui mettent le mieux en lumière les Terroirs, comme le souhaitait Apolline, fondatrice de la Maison en 1808.
Ainsi, la philosophie de la Maison Henriot en place depuis de plus de 210 ans, au travers de l’approche Terroir, a pris un sens et une dimension sans pareil cette année. »